Le Chérif « martyr » de Sagalé m’a tant appris !

Chérif Ibrahima, martyr du 29 octobre 2017 à Sagalé, je lui ai rendu visite il y avait un an de cela. Ce fut la dernière fois qu’on se rencontrait et c’est comme s’il le savait.

Ce jour, j’étais avec un de mes neveux et nous étions allés sur une moto. Nous étions arrivés à Sagalé aux environs de midi et demi. Nous nous étions directement dirigés vers le domicile de ce Chérif (futur martyr). Il nous reçut à son salon et nous n’étions pas seuls ; il y avait des visiteurs venus de Binany (préfecture de Gaoual, ouest de Lélouma) que le Chérif ne reconnut que lorsqu’ils parlèrent de leur père, lequel fut apparemment un ancien talibé à Sagalé.

Le Chérif, dans sa basse et douce voix, nous entretint longuement sur l’islam et les anciennes valeurs foutaniènnes. Il nous parla de quelques prophètes et nous conta certains récits émouvants du prophète Mouhammad (Sallallah Alayhi Wasallam). On tirait des leçons à chacune de ses phrases et c’est comme s’il voulait vraiment les ancrer en nous car il articulait les mots lentement et étalait la scène comme pour nous montrer du doigt tous les détails. L’endroit était calme et bien adapté à un tel enseignement. Chérif Ibrahima contait ces récits avec beaucoup d’amour, ça se lisait sur son visage. L’une des forces des merveilleuses âmes c’est que lorsqu’elles s’adressent à la vôtre, elles touchent directement votre cœur ; autant on absorbait ses paroles, autant on en avait de plus en plus faim et soif.

Vers 13 : 15 le Chérif nous rappela qu’il était bien temps de faire les ablutions et d’aller à la mosquée pour la prière. Tout le monde sortit du salon, et lui, il retourna dans sa chambre pour s’apprêter et nous rejoindre dehors. Il nous fit envoyer deux bouilloires remplies d’eau tiède pour nos ablutions et nous donna également un morceau de savon pour bien laver nos mains et réduire les « risques de maladie », disait-il. L’eau tiède était vraiment bienvenue car il faisait un peu frais surtout pour moi qui venais de Conakry. Nous nous étions lavés les mains au savon et avions fait les ablutions à l’eau tiède qui était étonnement convenable.

Nous avions fini nos ablutions lorsque le Chérif sortit de sa maison et il avait pris la tête de la file pour nous conduire vers la mosquée. Nous avions dépassé le mausolée où sont enterrés son père et ses frères. Il avait baissé carrément la voix lorsqu’on y avait approché et avait même cessé de parler jusqu’à ce que nous ayons dépassé le monument, par respect pour les siens, me disais-je.

Après la prière il nous avait invité à retourner chez lui pour « finir » notre conversation. Nous tous qui étions sortis de chez lui pour la mosquée y étions revenus avec lui en marchant et parlant doucement.

Une fois que nous nous fûmes réinstallés au salon, il disparut dans sa chambre pour surement apprêter quelque autre chose. Il envoya un enfant interpeler les visiteurs venus de Binany pour les inviter à aller dans une chambre voisine pour le déjeuner. Mon neveu et moi avions été introduits dans la propre chambre du Chérif pour notre déjeuner. Chérif Ibrahima était là et nous attendait. J’étais très gêné et il le remarqua tout de suite. “C’est chez vous ici” nous dit-il pour tenter certainement de décrisper l’atmosphère. Je mordais toujours difficilement à l’hameçon.

Il nous tendit encore un autre morceau de savon, de l’eau tiède dans une autre bouilloire et nous dit : « c’est toujours bon de se laver les mains surtout lorsque l’on vient de serrer la main à toute une foule d’inconnus». Je venais de faire une consultation avec un projet de nutrition et la plus part du temps on insistait sur le lavage des mains mais je ne me rappelle jamais avoir dit à quelqu’un de se laver les mains au savon en autant de fois en une si courte période.

Le Chérif avait lui-même ouvert deux boites de lait pour notre dessert et avait apprêté l’eau de boisson. C’était encore plus gênant. Curieusement il y avait trois types de sauces autour du repas et il nous demanda de nous servir ce qui nous conviendrait le mieux. Nous étions comme de célèbres hôtes.

Après que nous ayons fini de nous laver les mains il nous désigna les cuillères et nous demanda de les utiliser. Ensuite, il sortit pour nous laisser manger à notre aise.

Après le repas, nous avions remercié le Chérif et avions mentionné que nous retournions chez nous. Il nous remercia et bénît longuement pour mon neveu et moi. Nous avions un petit cadeau pour lui et le lui avions donné. Il était très content et avait encore plus longuement bénît pour nous. Il nous demanda de l’attendre au salon le temps pour lui d’aller vite et revenir de sa chambre. Il revint avec un cadeau pour nous. Je lui dis que nous lui avions fait cadeau pour demander ses bénédictions et que nous ne prenions pas son cadeau à lui. Il insista et insista encore. Comme nous repoussions toujours son cadeau, il nous dit qu’on pouvait le prendre et le donner à quelqu’un d’autre en route ou bien qu’on pouvait l’offrir à nos mamans dans notre village. Il l’emporta net.

Il nous tint par les épaules, moi à sa droite et mon neveu à sa gauche. Il nous raccompagna jusqu’à la porte du salon en bénissant pour nous encore et encore. A travers le boubou léger sur mon épaule je ressentais comme des pulsions émergeant de sa main moite, spongieuse et froide, traverser timidement tout mon corps. Ce fut la première fois de voir le Chérif ci-proche, tenir quelqu’un ci-proche.   Hélas, ce fut aussi la dernière fois !

Un an après cette visite, presque jour pour jour, ce Chérif est tombé en martyr dans sa propre chambre, et avait été enterré auprès de son père et de ses frères. Le lendemain de ses funérailles je suis revenu dans sa famille et me suis retenu, par respect pour lui et les siens, de parler tout le temps que je passais devant sa fraiche tombe, comme il l’avait fait pendant ma dernière visite. Je priais pour lui le cœur bien serré et le souvenir de la dernière rencontre encore fraiche dans ma mémoire.

J’étais allé dans sa concession avec mes frères et nous avions salué toute sa famille, laquelle était d’une sagesse et d’un calme hauts d’estime. Un de ses enfants souligna ceci : « Notre famille est fière de lui car on n’entend que de bonnes choses à son égard. Nous demandons à Allah (Sub’haanahu Wa Ta’aa’laa) de ramener sur la bonne voie le criminel et les commanditaires de son assassinat. Grâce à dieu, nous sommes sans douleur ».

Quelle sainteté que de mener une vie aussi humble et mourir martyr, comme beaucoup d’autres prophètes et leurs compagnons ! Chérif Ibrahima marque, comme tout martyr, tant d’esprits et s’est en allé avec de rares et précieuses valeurs. En lui, s’est éteint un cœur à la fois beau et brillant, pur et humain. Tout simplement un cœur pieux et modèle. Une belle âme entièrement dédiée à l’islam et aux bonnes mœurs repose derrière le rideau et défie tous ceux qui l’ont connu et côtoyé. L’islam est un salut, une merveille, disait souvent Chérif Ibrahima.

Cherif Ibrahima
Chérif Ibrahima en train d’ouvrir la porte à des visiteurs chez le Khalif (Chérif Abdoul Madjid) à Sagalé en Septembre 2017 – Crédit photo Ibrahima Barry

 

Surah LE TEMPS (Al’ashr)

Au nom d’Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux

Par le Temps! (1) L’homme est certes, en perdition, (2) sauf ceux qui croient et accomplissent les bonnes œuvres, s’enjoignent mutuellement la vérité et s’enjoignent mutuellement l’endurance. (3)

Extrait du coran traduction de quranexplorer.com

8 commentaires sur “Le Chérif « martyr » de Sagalé m’a tant appris !

  1. Félicitation et du courage! Un écrit inspirant et plein de sagesse. Je me souviens moi aussi je suis allé à Sagalé et j’ai eu le privilège d’accéder à la chambre du grand frère de ce Chérif. En visitant ces lieux tu nages dans l’éducation et tu te noies dans l’islam, au finish tu te poses une seule question : ceux qui tuent au « nom de Allah » sont ils des musulmans ?

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    1. Merci Kanté pour ce brillant témoignage! Ces Chérifs sont tellement exemplaires et tellement humbles! Que dieu nous les garde « éternellement » avec nous. Ceux qui tuent au « nom d’Allah » s’égarent largement et choisissent un éternel mauvais sort. Ils corrompent les faibles d’esprit et propagent leur « propre » mauvaise image sans le savoir. Ils croient salir et défendre l’islam à la fois et meurent dans l’ignorance. Que dieu nous en préserve éternellement. Aamiin!

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      1. Émouvant récit badigeonné de consternation. J’ai eu aussi la chance de me noyer dans son charmant sourire et dans ses chaleureuses bénédictions qui sortaient de sa bouche avec une fraîche haleine aimantée. C’était au mois de janvier 2017, j’étais accompagné d’un cousin qui revenait fraîchement de la Mecque. De par la joie et la chaleur de l’accueil, mais aussi des douces et instructives phrases nous étions anesthésiés et ne voulions pas quitté. … Lui tenir compagnie ne serait-ce que pour une, deux, trois, ou cinq minutes permet à tout intéressé de faire une moisson positive de plusieurs années de labeur! Que son âme et celles de tous ses devanciers reposent en paix. Aamine!

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      2. Aamiin!
        Merci DIALLO Saraf pour ce témoignage et pour le point de vue. Chérif Ibrahima est inégalable dans sa bonté et est un exemple à copier absolument. Que dieu nous aide à tirer le meilleur de nos souvenirs de lui et que le paradis soit son éternelle demeure.

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  2. Dieu soit loué et que son âme repose en paix au paradis éternel. Grand merci pour ta plume bien inspirée et surtout d’avoir fait connaître l’humble homme qui est Chérif Ibrahima (Sagalé) à ceux qui ne l’ont pas connu.
    Que ses prières tant prônées se répandent sur nous tous. Amen

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    1. Aamiin! Que ses prières nous soient exaucées!
      Merci beaucoup Mr Billo Sow! La page est insuffisante pour relater tout ce que j’ai appris de lui lors de cette dernière rencontre. La conversation avec lui est toujours cohérente, unique et d’une excellente richesse. C’est le Foutah qui a perdu avec cette triste et brutale disparition.

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