Mon premier jour à l’école du village

Je suis de ces jeunes ayant été à l’école un peu tardivement et qui comprennent un peu trop tôt qu’il y a dans la vie des défis à relever. Je fus aussi de ces enfants curieux ayant reçu les premières leçons avant d’intégrer une classe proprement dite.

En effet je suis né à un moment où c’était vraiment difficile pour toute la Guinée; les récoltes n’étaient pas bonnes, payer l’impôt était en vogue et cher, le commerce était carrément interdit et les arrestations arbitraires étaient monnaie courante. Je ne sais pas de quoi les gens vivaient à l’époque mais on m’a toujours dit que c’était vraiment dur en vrai jargon de pauvres gens et qu’une famine s’était même déclarée faisant certaines victimes. Et donc je suis un vrai rescapé, survivant de premier ordre. J’ai eu l’age d’aller à l’école alors que mon père s’opposait silencieusement (et impuissant) au système éducatif de l’époque disant que si c’était pour étudier la langue maternelle à l’école, alors là je n’y irais pas. Le système était fait de sorte que les langues maternelles étaient enseignées du primaire au niveau collège et même lycée et toute la science était aussi enseignée dans ces langues ou dialectes quitte à être diplômé d’une région et illettré dans une autre dans le même pays. Je suis donc resté à la maison à apprendre le coran et à participer activement à la vie familiale; aller au champ, puiser de l’eau, veiller sur les chèvres et poules que possédaient ma chère mère, chercher du bois de chauffe dans la forêt en contrebas du village, etc. Je me suis fais un devoir comme tout autre enfant de jouer et de bien jouer à la fabrication du ballon à jouer au football, à la collecte de fruits sauvages, à chasser les oiseaux avec mes lance-pierres, ou bien à aider à toute occasion.

Nous étions quatre compères dont je fus le plus jeune (petit) et avions un ami qui allait déjà à l’école et nous rassemblait pour nous transmettre le savoir à chaque fois qu’on le lui demandait; une vieille planchette adossée au mur pouvait servir de tableau noir et un morceau de charbon prenait la place à la craie comme il en manquait toujours. Notre jeune maître se débrouillait toujours à ramener de l’école de la craie mais nous autre on trouvait ces morceaux colorés un peu délicieux et donc on en dérobait à notre tour pour les croquer des fois.

Un matin d’avril 1984 alors qu’on jouait quelque part dans le village, munis de nos lance-pierres, notre jeune maître nous informa qu’à partir de cette date que c’est le français qui serait enseigné à l’école. Nous étions contents que le système des langues maternelles soit enfin parti (ses initiateurs avec lui). Nous ne nous sommes pas arrêtés à remercier Allah tout-puissant mais sommes allés directement à l’école du village à près d’un kilomètre de là pour vérifier son information. On courrait jusqu’à la porte d’une classe qui était ouverte et tout d’un coup nous avons tous traîné les pieds comme si on approchait une chose vraiment mystérieuse. On s’est approché du seuil et on a furtivement lorgné à l’intérieur à tour de rôle; l’un des deux enseignants qui servaient dans cette école était au tableau en train de dessiner le coude que nous avions pris pour un chat tellement que la craie dans la main du maître s’efforçait à tracer les contours sur un vieux tableau incolore et très mal gratté ou crépi. Les quelques six élèves assis derrière lui ayant entendu nos timides mouvements nous demandèrent d’entrer et il se tourna pour soutenir leur invitation. Tous ces visages nous étaient familiers mais nous hésitions vraiment à y entrer. Chacun de nous dit à l’autre d’entrer lui d’abord et finalement le plus « audacieux » parmi nous se déchaussa et courut s’asseoir sur le table-banc le plus proche de la sortie. Nous autres le suivîmes étape par étape: se déchausser et courir s’asseoir sur le même table-banc, à quatre.

Le maître nous approcha et nous demanda de retourner nous rechausser et de revenir nous asseoir deux à deux en occupant un autre table-banc vide à côté. Nous étions surpris qu’il soit si gentil car notre jeune maître nous avait toujours dit qu’à l’école on frappait les élèves chaque jour.

Le maître continua son dessin et à prononcer des mots en pointant sur des lignes que nous répétions bon gré mal gré. C’était vraiment facile et intéressant! C’était enfin vrai que ce n’était pas le Poular qui était enseigné mais du français qui glisse bien à l’oreille! Quelques minutes de cours après, le deuxième enseignant arriva, rentrant du village précédé de trois grands enfants qui apparemment ne voulaient pas venir en classe et lui les forçait comme on pousse des moutons vers un enclos suspect en pleine journée. Le plus grand des élèves réfractaires pleurait fort et on l’humilia en me montrant moi le plus petit, nouvel élève qui ne pleurait pas. Il me lorgna légèrement et se calma petit à petit. Moi j’étais aux anges; on m’avait pointé du doigt et tout le monde m’avait regardé et ensuite on avait dit que j’étais fort et ne pleurait pas! Wow! J’ai raconté la scène des jours durant en rajoutant souvent des mots pour faire rire ou simplement prolonger mon récit et mon héroïsme.

A midi, dès la sortie des classes nous nous sommes directement dirigés vers la case de papa pour l’informer qu’on était devenu élèves. Il ne protesta pas mais se tut longuement et nous souligna en nous fixant droit dans les yeux qu’on demeurerait à l’école jusqu’au moment où on saurait écrire et lire une lettre en français. L’objectif était clair et apparemment simple et on était content qu’il accepta cette opportunité. Nous partîmes informer nos mamans qui s’inquiétaient déjà de notre si longue absence. Elles ne voulurent savoir que ce qu’était la réaction de notre papa quand on lui a informé. Nous leur avons raconté le contenu du « contrat signé »: étudier pour uniquement savoir lire et écrire une lettre en français. Marché conclu!

L’après-midi du même jour notre enseignant, tellement content de nous, vint réclamer le prix des outils (cahiers, crayons et stylos) à notre père et nous les garda à l’école jusqu’au lendemain matin à notre arrivée.  Ces outils étaient comme de précieux cadeaux de notre maître, étaient très propres, brillants et sentaient très bon. On se les passait pour les admirer et comparer taille, couleur et même odeur.

A chaque fois que papa voulait rire avec nous quand nous sommes devenus grands et collégiens, puis lycéens et enfin universitaires, il nous demandait si jusqu’à présent on ne savait pas « écrire et lire une lettre » pour enfin sortir de l’école, à laquelle question on a toujours répondu: non papa, pas encore papa. Il souriait souvent et rajoutait: que c’est difficile d’écrire une lettre en français! ça vous prend toute votre jeunesse!

Aujourd’hui, 33 ans après ce grand jour, papa n’est plus là, je veux m’essayer au blog et je me rends compte que ce n’est pas qu’une simple blague que d’écrire « une lettre en français ».

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14 commentaires sur “Mon premier jour à l’école du village

  1. Malgré que tu sois né dans une période aussi difficile de l’histoire de ma Guinée, période ***, tu as triomphé du temps et de la nature, en surmontant les difficultés du chemin de l’école. Maintenant te voilà nous restituant ou nous rappelant nous aussi, l’histoire vécue sur le chemin qu’a emprunté chacun différemment. Merci pour ta plume et que dieu ouvre le chemin de la réussite!

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    1. Merci Mr Sow! Vos bénédictions sont bienvenues! L’école était à la fois un défis et une perpétuelle compétition et l’élève devait s’accrocher dur pour avancer. On a raison de nous en souvenir et de tenter de raconter ces moments uniques de la vie. Revenez visionner ce blog chaque fois que vous le pourrez! Merci beaucoup!

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